à propos.

Corinne

On m'a clairement tourné le dos, quand j'ai annoncé être la maman d'un formidable enfant autiste.

 

Corinne a répondu à notre appel à témoignages pour le théma « Parentalité et emploi » proposé par les Entreprises Ephémères. Elle a accepté de nous raconter sa descente aux enfers professionnelle à conditions que ni son nom, ni celui de l’entreprise qui l’employait ne soient cités.

Pendant 8 mois, nous avons collecté des témoignages de parents, de recruteurs et de professionnels. Ils nous parlent souvent en anonyme de leurs difficultés ou des initiatives positives qu’ils ont mises en place. Ce dossier n’a pas pour vocation de récompenser les bons élèves et de fustiger les mauvais, mais uniquement de donner la parole sur un sujet qui concerne de nombreux Français.

Pendant 8 mois, nous avons collecté des témoignages de parents, de recruteurs et de professionnels. Ils nous parlent souvent en anonyme de leurs difficultés ou des initiatives positives qu’ils ont mises en place. Ce dossier n’a pas pour vocation de récompenser les bons élèves et de fustiger les mauvais, mais uniquement de donner la parole sur un sujet qui concerne de nombreux Français.

Reine...

...un jour

6 juin 2018. Le 6 juin 2018. 6 juin 2018, c’est cela…

Lors de notre rencontre, Corinne (prénom modifié ndlr) répète ou plutôt martèle cette date. On perçoit sa colère, son dégoût presque. Mais on entend surtout son envie d’ancrer le 6 juin 2018 comme le jour qui a changé sa vie.

« Il faisait beau ce jour-là », se souvient-elle le sourire crispé. « Nous avions rendez-vous pour l’entretien de restitution de bilan. C’est un peu alambiqué comme tournure, je préfère dire : LE rendez-vous qui vous annonce à quelle sauce il va vous manger. »

La « sauce » c’est le diagnostic. « Il » c’est le pédopsychiatre qui a supervisé les professionnels de santé chargés de répondre à une question : Timéo est-il autiste ?

« Il faisait beau ce jour-là, et nous en avons profité pour nous rendre à l’entretien à pieds. Avec le recul, je pense que je voulais profiter encore de mon enfant non-autiste. Qu’on s’entende, Timéo est une bénédiction ! Mais à ce moment, je ne connaissais de l’autisme que son nom et ça ressemblait plutôt à une malédiction. »

Le 6 juin 2018, une phrase a bouleversé la vie de Corinne. Un diagnostic ressenti comme un couperet qui a finalement eu un impact positif sur sa vie personnelle. « Savoir permet de comprendre » d’abord, puis savoir permet d’être aidé ensuite.

Un mot qui a ravagé sa vie professionnelle. 

En 2018, Corinne occupait un poste à responsabilités : Responsable Marketing d’une gamme spécifique de l’entreprise, un grand groupe dont nous tairons le nom. Comme de nombreux cadres, elle ne comptait pas ses heures. Ses obligations professionnelles, elle y pensait le matin avant même de prendre son petit-déjeuner. Elle se couchait la tête pleine de deadlines.

« J’arrêtais pas de travailler. Je pensais avoir réduit la voilure avec la naissance de mon fils, mais c’était faux. Ok je rentrais plus tôt à la maison. Mais je finissais toujours mon boulot dès que Timéo était couché. »

Très appréciée par sa direction, Corinne était persuadée qu’elle travaillait dans une entreprise « kids friendly », compréhensive et sensible à l’équilibre entre vies professionnelle et personnelle. « J’ai longtemps cru que la boîte était géniale parce qu’elle me permettait d’être chez moi à 18h30. Je pensais qu’ils me laissaient faire parce qu’ils avaient conscience qu’être maman et salariée c’est pas toujours facile, mais en fait ils s’en foutaient, ils ne regardaient que les chiffres ! »

Annoncer à ses supérieurs l’autisme de son fils était donc une formalité.

« Les besoins de mon fils n’ont pas changé avec le diagnostic, j’étais du coup confiante. J’étais sûre que l’annonce allait bien se passer et ça a été le cas d’ailleurs. »

Paria...

...le lendemain

« Ce qui a changé finalement, c’est moi. Moi et l’accompagnement de Timéo qui nécessite davantage de présence et de support logistique. » Ce qui a changé pour l’entreprise surtout c’est « le nombre d’heures supplémentaires que je pouvais réellement faire. »

Progressivement les pensées du soir se sont transformées, passant des deadlines aux progrès réalisés ou pas et aux rendez-vous chez des spécialistes et c’est là que tout a dérapé.

 

« Je crois qu’il y a eu une vraie rupture le jour où je me suis dit que c’était Timéo d’abord. Les gens qui vont me lire, vont me trouver horrible. Je ne veux pas dire qu’avant Timéo n’était pas important, mais il y a eu un moment où mon fils est devenu presque ma mission. Je ne délaissais pas mon travail, mais s’il avait besoin de moi je ne rallumais pas l’ordinateur le soir. C’est vraiment là que tout a commencé. »

L'enfer...

Moins d’heures supplémentaires, c’était inacceptable pour l’entreprise. D’après Corinne plutôt que de s’engager sur la voie de la communication et d’envisager des solutions concrètes et satisfaisantes pour les deux parties, la société a préféré entrer dans un rapport de force.

« J’ai vécu un enfer. On m’a clairement tourné le dos, parce que je suis la maman d’un formidable enfant autiste. » Douloureux souvenirs, Corinne hésite à détailler ce qu’elle a subi.

« Je n’ai pas envie de faire la liste, mais en gros, ça a viré au harcèlement. On m’appelait la nuit en numéro masqué, on ne me mettait plus en copie des emails importants, certains de mes collègues ne me disaient même plus « bonjour »… Le pire ça a été le jour où lors d’une réunion tout le monde m’ignorait. Je posais une question, on ne me répondait pas. Je prenais la parole, personne ne rebondissait.

J’ai appris après avoir quitté l’entreprise qu’il avait été demandé aux participants de me considérer comme un « fantôme » car j’allais dans tous les cas quitter l’entreprise. »

La suite ? Une dépression, un arrêt maladie et une démission. « On m’a poussée vers la sortie, j’ai quitté l’entreprise. On m’a gratifié d’un : c’est mieux pour vous. Ca a été un nouveau coup de poignard à l’époque, cette phrase je l’ai maudite même si aujourd’hui je sais que c’était mieux pour moi, pour nous. »

Se reconstruire...

« Ca m’a pris un an pour retrouver confiance dans mes compétences. Parce que ce qu’on ne dit pas, c’est que même si on sait que ce qui est mis en cause c’est le temps qu’on ne peut plus donner à l’entreprise, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’on est nulle. »

C’est finalement la bonne rencontre qui a redonné un souffle à la carrière professionnelle de Corinne. « Un jour, un ami m’a parlé de la marque qu’il lançait et m’a proposé de travailler avec lui. J’étais tellement sortie de tout ça, que je lui ai dit : « ok mais si tu ne me paies pas. » Il a refusé et m’a relancée un millier de fois avant que je n’accepte. J’occupe toujours le poste de responsable marketing d’une boite vraiment kids friendly cette fois. »

A lire également :